Quitter META : Une lenteur analogue (ou presque)
Journal d'une désintox' pas comme les autres, partie 5.
Pour une ex-gestionnaire de communautés complètement accro à son téléphone, quitter META ne sera pas une mince tâche. Bien qu’à chaque année je prenne des pauses des différentes plateformes de plusieurs semaines à plusieurs mois, cela ne se comparera pas, je crois. Me déconnecter pour de bon de Facebook et d’Instagram, fermer et effacer mes comptes, me faisait peur. Pourtant, un côté de moi accueille à bras ouverts cette page blanche, cette délivrance, d’autant plus que je crois foncièrement que cet acte soit nécessaire, politiquement.
Depuis quelques semaines, je tiens un petit journal ici, pour raconter comment ça se passe pour moi, en toute transparence.
La première semaine, j’abordais les raisons de mon départ imminent.
Dans le deuxième article, j’expliquais ce qui allait me manquer de ces plateformes qui ont déjà su être si rassembleuses.
Pour le troisième article, j’essayais de penser l’après-META et ce que ça voudra dire pour moi, pour nous.
Pour le quatrième article, je réfléchissais aux questionnements qui me sont venus depuis que j’ai effectivement quitté META.
Cette semaine, je parle de ce mode de vie (presque) analogue que j’ai retrouvé, et cette envie que j’ai de pousser ces réflexions plus loin et de cumuler d’autres actes de résistances.
Mon amie Amélie m’écrit pour me demander ce que je fais, sans réseaux sociaux, comment j’occupe mon temps, si j’ai commencé à tricoter ou quoi. Je pourrais lui répondre que je retrouve tranquillement mon coeur d’enfant : je colorie, je fais des casse-têtes, je lis, je vais au vidéo du coin pour louer des films*. Je laisse libre cour aux petites bulles d’humour qui éclatent dans mon cerveau, aussi, ce qui prend la forme de différente chorégraphies aléatoires, de mots inventés et de blagues absurdes.
J’ai déplacé mon vieux modèle de radio Sony des années 70 dans la pièce principale de l’appartement, et mon partenaire et moi avons écoutons des émissions comme C’est si bon, que nous adorons, sur Radio-Canada. Le reste du temps, notre trame sonore est constituée des disques vinyles sélectionnés par mon conjoint, ce genre de DJ de musique classique.
La vérité, qui est surprenante, c’est que maintenant que mon téléphone est en mode « idiot » plutôt qu’« intelligent » et que j’ai finalement retiré toutes les applications addictives de mon interface… je ne ressens aucun manque. C’en est même bizarre ou louche. Je peux affirmer avec assurance que je me sens mieux.
Dans la salle de pause de mon nouvel emploi, j’occupe mon heure de dîner en lisant, ce qui fait que j’avance beaucoup plus rapidement dans mes lectures. D’ailleurs, en parlant d’emploi : trois choix de nouveau travail s’offraient à moi, et j’ai choisi celui qui m’amenait loin de l’univers des communications et qui ne me demanderait pas de gérer des réseaux sociaux, ni de passer 40 heures par semaine devant des écrans. J’ai choisi celui avec du contact humain, même si ça voulait dire de mettre une croix sur un salaire plus substantiel (ce qui, je le reconnais, est un privilège). Pour le reste, mon travail, sa nature exacte, son lieu, ça me regarde moi et peut-être mes proches, je ne compte donc pas en parler en détails ici.
Garder ce qui est privé privé… ou non ?
J’ai lu récemment que ce qui était gardé privé ne pouvait être gâché par autrui, et ça m’a beaucoup fait réfléchir à ce que je partageais sur internet, même ici. Quand je pense à toutes ces bribes d’informations personnelles que j’ai sciemment révélées à des inconnu·es ces, quoi, vingt dernières années ? sur différentes plateformes « sociales » et blogues, je ressens une honte brûlante mêlée à un regret amer. Qui avait vraiment besoin de voir ce que je mangeais, ce que je portais, ou à quoi je ressemblais cette journée-là ? Qu’est-ce que ça m’apportait, personnellement, de partager ce type de contenu ? Faire flatter mon égo ? Vivre dans le regard des autres ? Et qu’est-ce que ça m’amenait, de consommer ce type de contenu ? L’impression factice de ne pas être aussi solitaire que je ne le suis ?
Certains textes que j’ai publiés ici sur Substack étaient de nature très personnelle, mais je considère que c’est un peu différent. Quand j’ai parlé de neurodivergence et de dépression, par exemple, j’ai reçu de nombreux courriels de support et de témoignages, de gens qui s’identifiaient à moi. N’empêche que je me questionne sur les limites, sur mes limites. Quoi écrire, quoi montrer, à qui, de quelle façon ?
Pousser le processus plus loin… ou pas ?
En bonne personne trop intense, je me demande même si je pousse ce processus de désintox’ des réseaux sociaux assez loin. Mes lectures sur les GAFAM font qu’il m’est de plus en plus difficile de porter des œillères : devrais-je me défaire de mon cellulaire Google ? De mon adresse Gmail ? De mon ordinateur Apple ? Pour le moment, je choisis d’user mes outils électroniques jusqu’à la fin de leur vie (rendue courte par l’obsolescence programmée), et nous verrons bien, après.
Dans cette lutte relativement récente contre la technocratie, deux clans semblent s’être formés : celleux qui gardent leurs outils électroniques et leurs réseaux sociaux mais qui en font un usage plus réfléchi, et les puristes, qui rejettent tout en bloc. J’ai, comme on dit, le cul entre deux chaises. Pour le moment, je me range dans le premier clan, mais je ne peux garantir que je ne basculerai pas dans le deuxième clan. Que cette possibilité soit là m’excite. Elle a toujours été là, mais le fait de l’envisager de plus près, de peser ses pour et ses contre avec attention me revigore.
Est-ce que le peu de vie sociale qu’il me reste survivrait si j’avais un flip phone ou mieux/pire, une ligne fixe ? Est-ce que je m’en sortirais sans ordinateur, ou en partageant un seul appareil avec mon conjoint ? Serais-je plus inspirée en écrivant dans un calepin que sur un clavier ?
Une (grosse) partie de moi me chuchote à l’oreille que je ne le saurai pas tant que je ne l’essaierai pas…
Chère Ariane,
Je me permets d’écrire « chère » même si nous nous connaissons peu, car l’authenticité de ta courageuse démarche me touche et m’éclaire. En vrac, je te dirais que tu n’as aucune honte à avoir concernant tes écrits passés, que je comprends ton soulagement tant le fait d’être accro aux réseaux peut vite devenir un esclavage, qu’on lit trop peu de textes tels que les tiens, que j’essaie de lâcher complètement Facebook mais qu’il est si difficile de promouvoir la poésie sans ce type d’outils, qu’il est très ardu de se fédérer dans un monde aussi morcelé que le nôtre, que j’aimerais partager ton dernier texte mais que ce serait peut-être te trahir… Bref, cheminons (je me parle). Et merci.
Je ne me rappelle pas si tu possède une machine à écrire manuelle? C’est une façon analogue d’écrire plus lisiblement pour moi. De plus, les sensations manuelle, visuelle et auditive sont positives.
Ces machines ont une durée de vie qui se compte en décennies, sans exagération! Ma machine à écrire portative préférée à été fabriquée en 1972. J’en ai qques unes, achetées pas cher localement, dans mon quartier. Je suis maintenant devenu un mécanoscriptophile.