Pour une ex-gestionnaire de communautés complètement accro à son téléphone, quitter META ne sera pas une mince tâche. Bien qu’à chaque année je prenne des pauses des différentes plateformes de plusieurs semaines à plusieurs mois, cela ne se comparera pas, je crois. Me déconnecter pour de bon de Facebook et d’Instagram, fermer et effacer mes comptes, me fait peur. Pourtant, un côté de moi accueille à bras ouverts cette page blanche, cette délivrance, d’autant plus que je crois foncièrement que cet acte soit nécessaire, politiquement.
Dans les prochaines semaines, je tiendrai un petit journal ici, pour raconter comment ça se passe pour moi, en toute transparence. Dans ce premier article, j’expliquerai ce qui me pousse à quitter les réseaux sociaux conventionnels et à chercher d’autres avenues.
De l’importance de libérer notre attention
« L’Internet poursuit, me semble-t-il, l’oeuvre de dépossession des humains d’eux-mêmes et de leur condition humaine, entamée voilà deux siècles par la révolution industrielle.»1
Quoi de plus précieux que notre attention et nos capacités mentales à réfléchir et construire des opinions, des idées ? Cela, les GAFAM l’ont bien compris, c’est pourquoi, à grands coups de notifications pavlovienne et d’algorithmes soi-disant personnalisés, ils nous tiennent en esclavage, le téléphone collé à la paume et les rétines fixées sur un écran. Trop occupé·es que nous sommes à faire défiler nos fils « d’actualités » (en réalité, des vidéos un peu tous semblables et pour la majorité d’une vacuité extrême, et des photos crées de toutes pièces par l’I.A. au rendu dégueulasse), nous en oublions de nous allier, de nous réunir, de discuter (en personne et réellement), d’argumenter, de nous révolter.
La censure (sélective) et la négation des droits LGBTQIA2+
“It wasn’t just fact-checking that Meta scrapped from its platforms as it prepares for the second Trump administration. The social media giant has also loosened its rules around hate speech and abuse — again following the lead of Elon Musk’s X — specifically when it comes to sexual orientation and gender identity as well as immigration status.”2
Comment pourrais-je encourager et offrir mon attention à des réseaux sociaux qui contribuent ouvertement à la haine ? Comment pourrais-je continuer d’enrichir ces milliardaires qui se rangent du côté du fascisme, de la droite extrême dangereuse, raciste, homophobe et sexiste ? Déjà, lorsqu’au Canada, nous nous sommes fait interdire de publier des articles de nouvelles sur META, ça m’a fait grincer des dents. Ces réseaux sociaux qui pullulaient déjà de fake news et de sources douteuses allaient maintenant être un véritable Far West. Mais là, sans fact-checking (fact-checking déjà nébuleux et insuffisant), c’est devenu le berceau d’une haine dont les flammes ont été attisées par les Pro-Trump et autres droitistes convaincus.
Des réseaux sociaux tout sauf… sociaux
« Vivre dans un espace où nous pourrions réfléchir ensemble au bien-fondé de nos activités, à la cohérence de nos pratiques et au sens de nos vies est relégué à l’extrême marge en attendant d’être complètement atomisé. »3
Avec cette impression de connexion permanente aux autres via les écrans, nous avons négligé les contacts humains, ce qui s’est aggravé avec la pandémie. Les réseaux dits sociaux sont bons là-dedans : nous isoler chacun·e chez soi en nous donnant l’impression d’avoir beaucoup d’ami·es. Et si je suis reconnaissante d’avoir connu des gens via les différentes plateformes, soyons honnêtes : je suis en carence sociale extrême, comme je ne l’ai jamais été auparavant. J’ai soif de discussions en personne, de chaleur humaine, de sourires partagés parce que nos regards ne seraient pas tous perdus dans nos machines.
L’IA en hausse et les algos défaillants
Vous l’aurez sans aucun doute remarqué autant que moi, mais la présence de l’intelligence artificielle s’est exponentiellement accélérée dans la dernière année sur les réseaux sociaux. Fausses publications sentimentales avec photos générées par l’IA, faux paysages sublimes, fausses inventions, faux intérieurs de maisons, faux enfants, faux animaux… nous baignons dans le faux assumé, et on dirait que j’ai une réaction épidermique à tout cela. Ça m’ENRAGE au plus haut point que l’une des premières sphères aussi drastiquement affectée par l’IA soit celle de l’art : photographies trafiquées, textes et traductions automatiquement générées, chansons artificielles, oeuvres visuelles robotiques… nos métiers sont menacés mais en plus, la majeure partie des offres d’emplois dans « mon » domaine (la rédaction) nous encourage à « aider à entraîner l’I.A. », c’est-à-dire d’AIDER le remplacement éventuel de nos postes par les machines. Comment ne pas s’insurger ?
Et c’est sans compter les algorithmes défaillants, qui ne nous poussent plus le contenu créé méticuleusement par nos pairs, mais des photos et vidéos de l’I.A., qu’on essaie de normaliser en nous les enfonçant dans la gorge et en misant sur notre grande naïveté. Cette intelligence artificielle, d’ailleurs, a des effets DRAMATIQUES sur l’environnement :
« L’expansion des centres de données n’a pas seulement des conséquences lors de leur construction, mais aussi pendant leur exploitation. Ces infrastructures sont extrêmement énergivores : on estime que les centres de données consomment une part importante de l’électricité mondiale, équivalente à la consommation annuelle de certains pays, comme l’Italie. »4
Et c’est sans compter l’extractivisme sauvage employé pour construire nos différents appareils électroniques ! (Si lire sur le sujet vous intéresse, je recommande fortement le numéro de la Revue Caminando intitulé Miner la vie, disponible ici.)
La perte de l’originalité et l’accélération de la consommation
Depuis l’avènement des réseaux sociaux, particulièrement, je crois, depuis TiKToK et Pinterest, j’ai remarqué une véritable perte d’originalité chez moi et chez mes semblables. Dans la création de contenu, d’abord : chacun·e utilise, par exemple, les « sons » (extraits de chansons) à la mode dans ses vidéos, pour être privilégié·e par les algos. Résultat : nous entendons en boucle, ad nauseam, les mêmes courts extraits de musique. Cette perte d’unicité se reflète aussi en décoration, en mode et en beauté, avec des tendances de plus en plus accélérées et de plus en plus absurdes, qui poussent de plus en plus de produits, achetés de plus en plus rapidement. Quoi de plus tragiquement ridicule que ces “Sephora kids” avec des routines de soins pour la peau interminables, par exemple ? Que dire des “hauls” de “fast fashion” filmés par des influenceurs, orgies de consommation dégueulasses ?
Pour conclure
Je pourrais continuer à élaborer LONGTEMPS sur les différentes causes de mon départ de META, mais en gros, ça se résume à ceci : ce qui étaient autrefois des réseaux sociaux où l’on pouvait partager avec nos ami·es sans être bombardé·es de publicités et de contenu problématique ce sont mutés « tranquillement » en aspirateurs d’attention hautement addictifs, qui font baisser nos Q.I. et qui nous engluent dans l’inaction et la passivité. Et j’ai décidé que j’avais assez donné.
Sous peu, je publierai un deuxième article où j’énumérerai ce qui va me manquer des plateformes META et comment je compte pallier à la situation.
Source : Internet ou Le retour à la bougie / Hervé Krief. — Montréal (Québec) : Écosociété, [2020]. — 116 pages.
Source : Internet ou Le retour à la bougie / Hervé Krief. — Montréal (Québec) : Écosociété, [2020]. — 116 pages.
Chaque fois que j’entends quelqu’un se questionner pour vrai sur sa présence sur ces plateformes, je retrouve un peu d’espoir.
J’ai moi-même quitté définitivement Facebook il y a presque un an et demi. Je n’y retournerai jamais. J’ai hâte de lire ton texte sur ce qui te manquera. En ce qui me concerne : voir les faces des gens que j’ai perdu de vue, mais avec lesquelles je ne reprendrai jamais contact. J’ai perdu de précieuses minutes de voyeurisme, en somme !