Pour une ex-gestionnaire de communautés complètement accro à son téléphone, quitter META ne sera pas une mince tâche. Bien qu’à chaque année je prenne des pauses des différentes plateformes de plusieurs semaines à plusieurs mois, cela ne se comparera pas, je crois. Me déconnecter pour de bon de Facebook et d’Instagram, fermer et effacer mes comptes, me fait peur. Pourtant, un côté de moi accueille à bras ouverts cette page blanche, cette délivrance, d’autant plus que je crois foncièrement que cet acte soit nécessaire, politiquement.
Depuis quelques semaines, je tiens un petit journal ici, pour raconter comment ça se passe pour moi, en toute transparence. La première semaine, j’abordais les raisons de mon départ imminent. Dans le deuxième article, j’expliquais ce qui allait me manquer de ces plateformes qui ont déjà su être si rassembleuses. Aujourd’hui, j’ai envie de penser l’après-META et ce que ça voudra dire pour moi, pour nous.
Devons-nous nous lancer à corps perdus dans de nouveaux réseaux sociaux, ou devons-nous plutôt reprendre le contrôle de notre attention, de nos vies privées et de nos liens humains ?
« Changer quatre trente sous pour une piasse »
Comme pas mal de gens, ces derniers mois, je me suis mise à la recherche de plateformes sociales alternatives à META et X. Je me suis d’abord élancée vers Bluesky avec l’énergie du désespoir (et aussi pour avoir enfin mon nom complet [très commun au Québec] comme username). Résultat ? Au lieu de perdre mon temps et mon énergie à scroller sur Instagram… je perds mon temps et mon énergie à scroller sur Bluesky. Et laissez-moi dire que c’est terriblement anxiogène ces temps-ci ! Je pense donc (déjà) désactiver mon compte, car je n’ai aucune espèce d’envie de pallier à une dépendance par une autre : ce serait comme arrêter de boire pour me mettre à faire de la coke.
“Addiction is a big part of the reason why so many of us accept being spied on and manipulated by our information technology […]”1
J’avais également ouvert un profil Pixelfed (une supposée alternative à Instagram), mais je l’ai fermé presque aussitôt. Pourquoi ? Parce que je me rends compte que si META et X sont problématiques, l’essence même des réseaux dits sociaux l’est aussi. Je n’ai plus envie de donner si généreusement ma précieuse attention à des plateformes du genre : mon but, c’est de récupérer mon attention, ma capacité de concentration et de renouer avec mes passions. De reconnecter avec qui je suis, loin de la connexion permanente à l’Internet.
“The most successful digital minimalists, therefore, tend to start their conversion by renovating what they do with their free time - cultivating high-quality leisure before culling the worst of their digital habits.”2
Je pensais noter mes livres lus et mes films visionnés sur Storygraph et Letterboxd respectivement, mais je me suis rendue compte que ce que je préfère, c’est de prendre le temps de les noter dans un bon vieux carnet. D’en décorer les pages, d’utiliser des crayons colorés, de sortir ma plume du dimanche, etc. Oui, ça prend plus de temps, mais j’adore passer des moments de qualité, en tête à tête avec moi-même, sans écrans. Et force m’est d’admettre qu’en laissant mon téléphone intelligent de côté, j’ai beaucoup de temps pour moi.
En mode analogue : une utopie ?
Est-ce utopique de souhaiter retourner vers un mode de vie majoritairement analogue ? Je ne sais pas, mais j’ai le fantasme ultra-précis de n’être joignable que par ligne téléphone fixe : d’installer un combo chaise-table vintage à l’entrée de mon appartement, avec un appareil à roulette. De parler au téléphone quand je suis disponible et de ne faire que ça, d’être complètement « là », avec la personne avec qui je parle. Mais bon, ça reste un fantasme (même si l’envie grandissante de lancer mon téléphone intelligent dans un lac devient envahissante… et que je l’aurais sûrement déjà fait si ça n’était pas aussi polluant).
En attendant de me départir complètement de mes appareils technologiques, je commence par reprendre des habitudes analogues : je loue des films à la cinémathèque du village voisin, je lis des livres papier le matin en prenant mon café au lieu de dérouler différents fils d’actualités à l’infini, j’écris des lettres et des cartes postales, et j’appelle mes ami·es pour avoir de vraies conversations sur comment nous nous portons réellement. Oui, je sais, les gens de ma génération et ceux d’après ont une PHOBIE des appels téléphoniques, mais je vous jure que cette peur mérite d’être dépassée.
Je veux aussi en profiter pour reprendre des passes-temps (le dessin, l’aquarelle) sans montrer au monde entier le résultat de ce que je crée dans mes temps libres. Arrêter le côté « performance » de mes loisirs. Me donner le droit d’être poche dans quelque chose que j’aime faire, et de continuer à le faire juste parce que j’aime ça.
Le fantasme de la disparition
Si vous êtes comme moi, vous avez probablement déjà rêvé d’être une personne mystérieuse, ou de disparaître pour complètement changer de vie. Mais comment être mystérieux·se en publiant sa vie complète sur les réseaux sociaux ? C’est un peu nono mon affaire, mais l’envie de renaître de mes cendres tel un phénix se fait parfois très forte. J’ai déjà drastiquement changé de mode de vie en déménageant dans les Laurentides il y a un an, mais je suis due pour encore plus de renouveau, et on dirait que je vois ce projet de désintoxification des réseaux sociaux comme étant excitant, motivant et transformateur.
Alors je décide de voir ça comme une métamorphose bénéfique, plutôt que comme un défi insurmontable.
Et vous, où en êtes-vous dans le cheminement de vos pensées, dans cette époque oligarchique technologique problématique ?
Je quitterai META le 15 février, alors je pense refaire un article sur le sujet un mois après mon départ officiel, pour vous tenir au courant de comment ça se passe pour moi.
Ten Arguments to Deleting Your Social Accounts Right Now, Jaron Lanier, 2019
Digital Minimalism, Cal Newport, 2019
Je suis encore le "cul entre deux chaises", à limiter mon temps d'écran, à passer mon téléphone en noir et blanc, à le poser dans une autre pièce pendant des heures puis à passer un temps qui me semble déjà trop long sur Booktube, Bookstagram ou Discord. Je suis en chemin pour supprimer Bookstagram de l'équation, ce qui serait déjà un pas vers mes valeurs. Lire et parler lectures j'adore. La surconsommation que ça peut engendrer me pose vraiment problème.
Je viens de de lire mes propres mots ;
comme le son de la voix était autre , le message était agréable à entendre .
Comme je ne suis pas prophète pour moi même ,la prophétie d'un autre m'effraie moins.