Avancer vers un mur pour ne pas reculer
ou comment j'ai décidé de stopper ma course à l'emploi à tout prix.
La nature humaine est ainsi faite que nous regrettons toujours ce que nous n’avons plus, et que nous désirons systématiquement ce que nous n’avons pas. Au Québec, par exemple, nous passons la majeure partie de nos conversations légères à parler de météo; le printemps tardif nous donne hâte à un été ensoleillé, et l’été caniculaire nous fait envier les mi-saisons fraîches, tandis que l’automne pluvieux nous fait rêver de neige. En bref, nous ne sommes jamais satisfait·es.
Ce principe simple peut paraître innocent et sans danger, mais est en fait un excellent moyen de nous enfermer dans le cercle vicieux que les bouddhistes appellent le saṃsāra, soit un cycle de souffrance infinie. En d’autres mots, nous travaillons fort à notre propre malheur en perpétuant ces tendances à l’envie et à l’impatience et en se projetant sans cesse vers l’avant en omettant le moment présent.
La romantisation du passé
Pour le moment, je suis privilégiée. En quête d’emploi depuis plusieurs mois, je ne suis quand même pas dans la misère, vivant frugalement et étant, dans le pire scénario, soutenue par un filet social solide. Au lieu de laisser la vie couler et de rechercher un travail de façon saine, c’est-à-dire en y consacrant un temps nécessaire mais pas abusif, je laisse cette quête envahir tous les aspects de ma vie. Je vérifie les offres d’emplois 15 fois par jour, je peaufine sans cesse mon c.v. et mes lettres de recommandation, et c’est le seul sujet qui franchit mes lèvres lors de conversations.
Et le pire, c’est que je sais pertinemment que dès que je retrouverai un emploi, je regretterai amèrement ces mois sans horaire strict ni responsabilités professionnelles, et que je romantiserai ce moment de ma vie à m’en rendre malade et à me faire regretter d’avoir pris un poste.
J’ai ainsi figé dans le temps plusieurs moments de ma vie vus via un filtre avantageux , en omettant les aspects négatifs de ces mêmes bribes de temps. D’agir ainsi n’avantage personne, surtout pas moi.
Percevoir un problème à l’envers
Dans les dernières semaines, j’étais absolument focalisée sur ma mission, celle de trouver un emploi en tant que rédactrice. J’avais fixé mes œillères solidement de chaque côté de ma tête et je fonçais tel un cheval sans bride vers cet objectif tangible, mais aussi distant qu’un mirage. J’ai brusquement interrompu ma course dans les derniers jours. Était-ce seulement ce dont j’ai envie ? Ce dont j’ai besoin ? De retourner dans un poste à temps plein dans un domaine qui m’a menée non pas une mais deux fois à l’épuisement professionnel ? De retomber dans la création de contenu frénétique où la vitesse passe de plus en plus avant la qualité, et où, maintenant, en plus, l’I.A. est impliquée ?
Trop de fois dans ma vie je suis allée vers ce qui me choisissait sans me poser la question de si cela me convenait, et ce, dans tous les domaines. Je suis arrivée dans le métier de rédactrice par hasard, parce que j’écris relativement bien et qu’on ne vit pas de ça autrement que par ce type d’emploi en communications / marketing. Mais je n’ai jamais CHOISI ce métier. Il m’est, en quelque sorte, tombé dessus. Et croyez-moi, je sais qu’il est horrible de penser ainsi, de me plaindre le ventre plein, mais je crois que le temps est venu de me questionner sérieusement; ce ne sont peut-être pas ces emplois qui ne veulent pas de moi, mais plutôt moi qui est mûre pour essayer autre chose. À tout le moins, je dois prendre un pas de recul et reconsidérer ma carrière sous un autre angle, et si je vais véritablement vers un poste du genre, ce sera en toute connaissance de cause et non par défaut.
Arrêter d’aller à contre-courant de soi
Dans les derniers mois, j’ai fait ce que je considère être un énorme travail sur moi pour me défaire de ma dépendance à mon téléphone et aux réseaux sociaux. Et là, je serais prête à balayer ces efforts du revers de la main pour passer 40 heures par semaine devant mes écrans à nouveau ? Vraiment ?
Mon système de valeurs me crie de m’éloigner de tout ce qui touche à l’I.A., et j’irais mettre le doigt dans cet engrenage parce qu’en tant que rédactrice, je « n’ai pas le choix » ? Cette possibilité me révulse. Et je dois respecter et honorer ces instinct qui me crient de fuir. De faire table rase. De recommencer. De me chercher, quitte à ne jamais vraiment me trouver. Ça me fait SI peur de retourner à la case départ de ma carrière professionnelle à l’âge vénérable de 36 ans.
Mais aie-je envie d’avancer par lâcheté, simplement pour ne pas reculer ?
Je ne pourrais pas t’encourager à continuer à chercher un emploi. J’ai été pigiste toute ma vie, ça n’a jamais été une option pour moi de travailler quelque part à temps plein. Les rares fois que ça m’est arrivé, c’était court et j’étais malheureux. Mais je suis rédacteur avec une envie aussi de dénumériser ma vie et en temps que vieille personne, je ne saurais faire autrement que t’encourager à essayer de briller dans autre chose. Les carrières n’ont pas besoin d’être linéaire, les gens ne le sont pas. Les carrières ont juste besoin de ressembler aux gens.
Il n'y a rien de simple dans les prises de décisions, mais on a tendance à considérer sa vie "terminée" ou "tracée" alors qu'en réalité, le renouveau est constant et nous sommes toujours très jeunes pour faire ce qu'on souhaite. En vérité, même à 70 ans, on pourrait envoyer balader certains aspects de notre vie et vivre comme bon nous semble. Je ne connais pas le métier de rédacteur (et je t'ai comprise quand tu dis que tu es "tombée" dedans par hasard car j'ai eu ce sentiment avec l'hôtellerie-restauration et je ne sais pas non plus comment en échapper!), mais tous les métiers ont des compétences transversales et il y a un grand champ des possibles. Je te souhaite de trouver ta voie en tout cas!