Une collègue à la bibliothèque me demandait cette semaine dans quel domaine j’avais étudié. Je lui ai répondu que j’avais un DEC et un BAC en études littéraires. Elle s’est alors enquise de ce qui avait guidé mon choix à l’époque. Tout ce que je pouvais répondre, c’est que j’aimais lire, que j’ai TOUJOURS aimé lire et écrire. Mais je n’avais pas de plan précis. Je ne désirais pas particulièrement enseigner, par exemple. Par contre, je lui ai également répondu qu’un BAC en lettres était plus pratique qu’on ne pouvait le croire : j’ai pu avoir de beaux contrats et des emplois bien rémunérés en communications et en rédaction dans le passé, et mon bilinguisme m’a permis d’également oeuvrer en traduction. Des options que je n’avais jamais nécessairement envisagées, des métiers qui n’existaient même pas quand j’ai fait mes études (comme gestionnaire de réseaux sociaux).
Je ne me suis jamais projetée dans l’avenir. Ni à l’adolescence, ni devenue jeune adulte, ni maintenant. Pendant que certain·es aspiraient à une maison en banlieue avec enfants et chien, ou que d’autres visaient une grosse carrière et un condo au centre-ville, je n’avais aucune idée de ce que je désirais. Longtemps, ça m’a angoissée. Maintenant, je vois ça comme une liberté. Au fil des années, combien d’ami·es engoncé·es dans leurs plans d’avenir étaient malheureux·ses, sans oser changer d’objectif, car ielles avaient misé toute leur vie et mis toute leur énergie vers cet ultime but ?
Je ne dis pas qu’il est mauvais d’avoir des plans de vie, mais je pense que de trouver un équilibre entre la mentalité no future et la rigidité d’un plan fixe en plusieurs points est difficile. Et demander à des enfants du secondaire de décider avant maturité de leur cerveau la carrière qu’ils veulent pratiquer jusqu’à leur retraite est absurde. Peut-être que j’ai toujours cru que si je n’avais pas d’attentes, je pourrais moins être déçue ?
Je n’ai jamais été envieuse, non plus. Je suis heureuse pour mes ami·es qui s’achètent des maisons, en sachant très bien que cette avenue n’est pas pour moi, pas pour le moment. Je me pâme sur les enfants de mes proches sans ressentir le besoin de mettre les miens au monde. J’admire les belles carrières motivantes des gens autour de moi sans jalouser le 40 à 50 heures de travail que cela nécessite. Je me connais assez bien pour savoir qu’aucune de ces avenues, jusqu’à présent, n’est appropriée pour moi ni pour ma personnalité. Mais je me connais aussi assez bien pour savoir que toutes ces certitudes du moment sont impermanentes et qu’il est possible que ce que je désire change.
J’ai toujours un peu fait mes plans au fur et à mesure, making it up as I go, autour de mes besoins et de mes envies, peaufinant mes projets en me basant sur ce que je savais de moi (et qui évolue rapidement). Et oui, j’ai occupé plusieurs métiers et habité plusieurs logements, et oui, ça fait d’excellentes anecdotes. Mais à travers ça, j’ai vraiment appris à me connaître. C’est comme si je passais mon temps à faire des mises à jour internes. Le fait est que nous sommes des créatures dont les besoins évoluent rapidement, et je pense que nos buts devraient suivre. C’est peut-être irréaliste, mais je détesterais me sentir prisonnière de mes rêves.
Ma réalité actuelle ne ressemble à aucune réalité dépeinte dans les médias ou dans les fictions : je jongle entre un emploi à temps partiel en bibliothèque, un partenariat avec une friperie locale et des contrats de rédaction. J’habite dans un coin sauvage d’un village des Laurentides, mais en location… et toujours sans permis de conduire. Et pourtant, c’est ÇA mon idée de la réussite, en ce moment. Hier, en route vers la friperie avec mon conjoint, je lui ai dis avec émotion que la petite Ariane de 16 ans serait vraiment fière de la Ariane de 36 ans. Parce que même si nous sommes en perpétuelle évolution, certaines de nos caractéristiques restent immuables, et dans mon cas, cela pourrait se dépeindre en un amour de la lecture et de l’écriture, et une passion pour les vêtements seconde main et pour le style.
Je suis sur mon X, et je sais que cet équilibre est fragile (mon emploi en bibliothèque est temporaire pour le moment, et des facteurs externes ou internes pourraient faire que ma réalité change à nouveau de forme à court ou moyen terme). Mais, pendant que ça dure, je compte bien en profiter et célébrer. Et c’est quelque chose qui, je pense, manque au genre humain en général : s’arrêter pour regarder où nous sommes rendu·es et l’apprécier.
Pas en regardant derrière, pas en regardant devant, mais en regardant ici et maintenant.
Ça me fait du bien de te lire. Je me trouve à une croisée des chemins en ce moment et ton texte a beaucoup de sens pour la Zoé de 26 ans. Merci 💛
Je suis incapable de me projeter dans l'avenir. J'ai du mal à imaginer 2026. J'ai du mal à concevoir que je vais avoir un an de plus (c'est ainsi tous les ans). Où vais-je travailler? Où vais-je habiter? Mes seules certitudes : l'amour des chats (j'aime penser que ma minette est éternelle), de la lecture, de l'écriture et de la radio. Je me sens immature. Je me juge. Mais j'y peux rien. Je suis incapable de me projeter.