Dans son essai Saving Beauty, publié en 2015, le philosophe Byung-Chul Han déplore notre obsession de ce qui est « lisse », cette vision de la beauté moderne sans aspérités. Ce livre, qui date déjà d’une décennie donc, laissait présager l’avènement du “Instagram face” : ce faciès lissé et « optimisé » par les filtres qui nous rend tous·tes un peu semblable.
Il paraît que maintenant, des gens montrent comme images d’inspiration à leur chirurgien·ne plastique ou à leur esthéticien·ne injecteur·rice… des photos de leur propre visage, modifié par les filtres des différentes plateformes sociales. C’est dire à quel point cet « embellissement » de nos traits a envahi notre psyché et a amoindri notre confiance en nous. C’est comme si, à portée de main, nous avions un·e plasticien·ne qui pouvait nous montrer tout ce qui « cloche » à propos de notre apparence et à quel point notre look se verrait bonifié avec quelques « petits » changements « subtils ».
Résultat : les stars, ces temps-ci, prônent un look émacié par la prise de médicament pour le diabète (sans souffrir de cette condition) et par le retrait du gras des joues. Les ridules et rides de tout acabit sont proscrites et les lèvres sont gonflées et lustrées. Le commun des mortel·les peut aussi aspirer à cette apparence idéalisée, moyennant un généreux budget… et de possibles problèmes de santé graves. Car ce désir de jeunesse et de « beauté » éternelle a son prix : on peut mourir de la prise d’Ozempic comme on peut mourir empoisonné·e par des implants fessiers.
Et tout ça pour quoi ?
Pour devenir des copies conformes les un·es des autres, pour effacer ce qui nous rend uniques, pour creuser plus loin le gouffre de nos complexes. Car soyons honnêtes : nous ne serons jamais satisfait·es. Nous voudrons toujours aller plus loin dans cette quête d’un idéal… surtout que les idéaux de beauté changent de plus en plus rapidement, rendant la cadence intolérable et impossible à suivre, car ce système est ainsi fait que pour se nourrir, il doit créer l’envie, le désir de métamorphose afin de s’enrichir plus et plus encore.
Nous n’avons qu’à observer les tendances beauté aux noms de plus en plus absurdes prônées par TiKToK : glazed donut, strawberry girl, tomato girl, glass skin… l’apparence que l’on doit convoiter change à la minute, et vient avec son lot de produits à acheter, de soins à appliquer et de maquillage à dupliquer. Oui; c’est « cool » de se montrer créatif·ve avec le maquillage, mais à quel point doit-on le faire pour faire tourner la machine et finalement tous·tes se ressembler ?
Les regards tournés vers nos écrans, complètement hypnotisé·es par de courtes vidéos durant de nombreuses heures par jour, nous perdons notre temps dans un vortex qui nous brainwash et qui fait en sorte que nous dédaignons l’originalité, et que nous exécrons notre apparence.
Nous oublions que vieillir est un privilège et non quelque chose à éradiquer à grands coups de millilitres de fillers.
Excellente réflexion. Je viens justement de voir passer un court film où l’on voit Demi Moore, incapable de marcher normalement, engoncée dans une robe dorée pourtant somptueuse, un port de reine malgré tout, des cheveux à l’infini. Parfaite, lissée de partout, mais emprisonnée comme une chenille dans sa chrysalide. La métamorphose ne sera pas papillon, ses ailes, coupées depuis longtemps, beauté et richesse prenant le pas sur tout le reste... Une sirène plutôt, parée pour la fin du monde ; en toute beauté! Une métaphore de notre époque, où l’apparence triomphe de tout et surtout de nos libertés. Où notre « naturel », comme notre nature, sont bafoués au profit du plus fort, du plus riche, du plus goinfre. Tandis que tout le monde se tourne vers tout ce qui brille et scintille, que l’or de Picsou fait foi de tout ; le navire terrestre coule au son de l’orchestre, mais au moins nos vedettes et oligarques portent du Armani flamboyants de mille artifices. Le spectacle sera magnifique et commenté par l’I.A.