Halloween vient de passer, les maisons et les commerces étaient décoré·es, les enfants et les adultes déguisé·es. Nous faisions jouer des films d’horreur sur nos télés ou nous plongions dans la lecture des rois et reines de la terreur. À la radio s’enfilaient les requiems et autres hymnes thématiques. Nous créions du contenu pour nos réseaux sociaux, des stories avec des filtres de zombies, de sorcières, de momies. Nous montrions nos intérieurs chaleureux, nos citrouilles, les feuilles mortes et colorées qui jonchaient le sol.
Nous avons momentanément oublié (ou pas) que la véritable horreur n’est pas celle que l’on retrouve dans la culture fantastique : les vrais monstres sont parmi nous et existent bel et bien. Ils font plus de morts innocentes que tous les vampires fictifs réunis. Ils sont plus sanguinaires que tous les personnages de Stephen King mis ensemble. Ils sont plus sadiques que la Grande Faucheuse.
Les humains qui lancent des guerres égoïstes.
Les dirigeant·es qui ferment les yeux et nient.
Ce sont elleux, les véritables monstres.
Je me sens impuissante.
Je partage du contenu informatif, j’écris des lettres aux dirigeant·es.
Je me sens coupable de continuer à vivre (presque) normalement.
De publier des photos des livres que je lis, des selfies égocentriques, de partager des vidéos humoristiques quand tant d’horreur fait souffrir des centaines de milliers de gens de l’autre côté de l’océan.
À quoi bon ?
Mais je suis la première à avoir BESOIN de ce contact visuel avec la douceur, l’humour, l’art et la beauté. Est-ce que c’est vraiment utile de se confronter à des images sanguinolentes de cadavres, de bébés morts, de bâtiments en ruines ? De mon côté, ça n’a comme seul résultat que la paralysie des idées. Comme si j’entendais constamment un ultrason : c’est là, dans le background. Ça run par-dessus tout ce que je fais, peu importe ce que je fais. Des photos affreuses en filigrane sur tout ce que je vois.
Devrions-nous taire tout le reste ? Profiter de nos plateformes pour amplifier les voix de celleux qui n’en ont plus ? Ou au contraire, faut-il s’accrocher au peu de beauté et de bonheur qu’il nous reste ? Je suis perpétuellement déchirée entre ces deux options, mais aujourd’hui, pour le moment, je choisis d’essayer de tenir en équilibre précaire sur la fine ligne entre les deux.
Club culture de la semaine
Au cinéma : « Les Jours Heureux », de Chloé Robichaud (2023)
J’ai réfléchis toute la semaine sur ce que j’allais vous dire au sujet de ce film grandiose, et je ne sais toujours pas par quel bout le prendre. D’abord, petit résumé de l’histoire : Emma (toujours parfaite Sophie Desmarais) est une jeune chef d’orchestre en vue en résidence d’un an à l’Orchestre Métropolitain de Montréal, et qui souhaite devenir la chef officielle de l’OM. Son père et agent (joué brillamment par Sylvain Marcel) exerce une terrible emprise sur elle. Il est autoritaire, exigeant, jamais satisfait, extrêmement toxique et met sur sa fille une pression malsaine. Emma a également une blonde (Nour Belkhiria), violoncelliste au sein de l’orchestre, avec qui les choses sont tendues. Nous suivons la protagoniste principale des mois de mai à septembre, alors qu’elle termine sa résidence et envisage la suite des choses.
L’aspect musical du film est à couper le souffle. Sophie Desmarais a été coachée par de vrais maestro et a assisté à des pratiques d’orchestre pendant deux ans, et le jeu en valait la chandelle. On se rappelle que mon partenaire, avec qui j’ai assisté au film, est lui-même chef d’orchestre, et même lui a été vraiment impressionné. Les pièces de Mozart, Schoenberg et Mahler sont interprétées et dirigées avec brio, dans le décor sublime de la Maison Symphonique de Montréal.
Bon, là, je sais, plusieurs ont voulu émettre des comparaisons avec Tár, de Todd Field, paru plus tôt cette année : deux chefs d’orchestre féminines, lesbiennes, qui jouent du Mahler. Mais Emma est l’anti-Tár : là où le personnage de Cate Blanchett était froide, calculée, cruelle, Emma est chaleureuse, emphatique, émotive. On souhaite qu’elle se libère du joug de son père et qu’elle s’épanouisse.
C’est un film à voir sur grand écran, si possible, pour la trame sonore sublime et le décor de la Maison Symphonique. Du grand Chloé Robichaud.
À la télé : “The Fall of the House of Usher”, de Mike Flanegan, sur Netflix (2023)
La réputation de Mike Flanegan en tant que maître de l’horreur télévisuelle n’est plus à faire : il cumule les succès de séries en séries, avec des réussites telles que The Haunting of Hill House, The Haunting of Bly Manor et Midnight Mass. On reconnaît tout de suite son esthétique sombre, froide et léchée, ses castings toujours à point et ses référents culturels pointus.
J’ai terminé cette semaine sa dernière série inspirée des contes d’Edgar Allan Poe, qui est à la fois une histoire d’horreur à glacer le sang… et une critique du capitalisme et de Big Pharma. Ça semble étrange et ce l’est… mais ça fonctionne ! Je ne veux pas m’éterniser sur le sujet car il est difficile de parler du synopsis sans dévoiler de punch, mais disons que le malheur s’abat sur la famille Usher, dont le patriarche est à la tête d’un empire pharmacologique. Ses enfants meurent un·e après l’autre, dans des circonstances plus qu’étranges, et nous assistons à l’ultime conversation entre Roderick Usher et l’avocat qui a passé sa vie à essayer de lui faire avouer ses crimes. À travers des flashbacks de la vie pour le moins particulière de Roderick et de sa soeur Madeline, nous comprenons un peu mieux d’épisode en épisode quel mal s’abat sur les Usher… et pourquoi.
Mention spéciale au personnage de Velma, dont les speechs étaient savoureux.