Dans la salle d’attente d’urgence de la polyclinique, j’ai les yeux rivés sur le formulaire coincé sur la pince à clip que je tiens entre mes mains. Je tremble. Mes yeux s’emplissent de larmes qui s’écoulent entre mes lunettes et mon masque jetable. Mon partenaire, assis face à moi, me demande ce qu’il y a, et je suis incapable de répondre. Les seules syllabes qui sortent de ma bouche sont plaintives et suraiguës, et je ne tiens pas à ce que les patient·es dans la salle d’attente m’entendent. Ce que je voulais dire, c’était :
« Je ne peux pas croire que j’en suis encore arrivée au point de remplir ce questionnaire de santé mentale. »
Je n’avais même pas pris rendez-vous à la clinique pour cette raison : j’y étais pour une cause physique, mais, au fil des questions posées par la médecin patiente et pleine d’empathie, les phrases se sont mises à débouler de ma bouche, pendant que je fixais un tableau de lettres d’examen d’optométrie en me concentrant pour ne pas fondre en larmes.
Oui; j’avais vécu plusieurs sources de stress dans les derniers mois (le retour dans le portrait indésirable d’un ex-« ami » qui a ravivé des traumas enfouis, mon éviction juste avant Noël, devoir préparer un déménagement hyper-rapidement dans une ville que je connais peu, le début d’un nouveau poste au travail, qui, même si il me motive, reste une longue liste de tâches à apprendre et de programmes à maîtriser…). Oui; j’avais un historique de problèmes de santé mentale. Oui; j’avais déjà été médicamentée. Non; je ne l’étais plus maintenant. Non; je ne tenais vraiment pas à reprendre des médicaments*. Non; je ne dormais presque jamais bien. Oui; je faisais des cauchemars. Oui; je me sentais anxieuse. Non; je n’arrivais plus à me concentrer sur des tâches normalement faciles pour moi.
Je répondais en triturant mes mains moites, sans presque regarder dans les yeux cette médecin pourtant si gentille. Je suis tellement dure avec moi, que, quand celle-ci a ouvert mon dossier sur sa tablette pour éplucher l’historique de mes épisodes dépressifs et autres épuisements professionnels, j’ai senti mes joues me brûler de honte (alors que je ne jugerais JAMAIS quelqu’un d’autre sur cette base). Je répondais du mieux que je pouvais à ses questions concernant mes divers essais (infructueux) avec de la médication*, décrivais les effets secondaires encourus et l’absence de résultats satisfaisants. Je disais tout ça sans savoir ce que j’attendais de cette femme, professionnelle et patiente. Si je ne voulais pas essayer de nouveau(x) médicament(s), pourquoi est-ce que je lui racontais tout ça ? Elle ne pouvait quand même pas entrer dans mon cerveau et en réparer les synapses défaillantes une à une.
Dans mon journal intime, ce matin-là, j’avais écrit que si je le pouvais, je me coucherais et je dormirais pendant plusieurs mois, en me réveillant magiquement après le déménagement, quand tout serait à sa place et que je serais miraculeusement adaptée à mon nouvel environnement. (Dans mon évaluation psychologique, il y a, entre autres, la mention « trouble d’adaptation ».) Je sais très bien que cette option est impossible. Mais, comme si elle avait lu dans mes pensées, la médecin m’a prescrit un arrêt de travail, des somnifères, et l’«ordre» de me reposer le plus possible dans les deux semaines à venir, de récupérer, de rattraper du sommeil.
Ça fait à peine une poignée de jours de ça, et je passe mes journées à m’abrutir devant des émissions de télé-réalité parce que si j’arrête, mes pensées circulaires reprennent et l’anxiété revient. Alerte rouge. Panique totale. Crises de larmes, poids sur la poitrine, agitation mentale extrême. Puis, la fatigue immense. Dormir de douze à quatorze heures, complètement assommée par mes propres glandes lacrymales trop productives.
Et à travers tout ça, je me sens privilégiée : j’ai eu accès à une médecin compréhensive, j’ai des collègues en or qui ne sont pas dutout dans le jugement, des ami·es qui me supportent, un conjoint et une famille (et belle-famille) extraordinaires, je n’habite pas seule, j’ai des assurances… la liste de mes privilèges est longue. Mais avec ceux-ci me vient une culpabilité que j’ai de la difficulté à chasser : des gens auraient probablement besoin de tout ça plus que moi.
Il n’y a pas de morale ou de conclusion à cet article de blogue, que j’ai hésité à écrire.
Parler de santé mentale, quoique moins tabou qu’il y a quelques années, reste délicat.
Je ne cherche pas la pitié, je sais juste que nous sommes beaucoup dans cette situation et que peut-être que de lire ça fera en sorte que quelqu’un se sente moins seul·e.
Il se peut que je m’absente des réseaux sociaux et de ce blogue sans pré-avis si ma santé mentale ne me le permet plus. Que je ne réponde pas ou peu aux messages.
Mais sachez que je suis bien entourée, que je n’ai pas « d’idées noires » et que je prends ce temps de pause pour me soigner.
* Ces essais et résultats de prises de médicaments me sont bien personnels, et je ne suis pas ici pour entretenir un discours anti-médication, LOIN de là. Plusieurs personnes ont trouvé leur équilibre avec la médication, je n’ai juste pas eu cette chance jusqu’à présent.
Bon courage!
Merci d'avoir écrit ça. Tu es merveilleuse et tu as tout mon support. 🧡🧡🧡