Attention, cette semaine, un autre sujet hyper-personnel que j’exhibe sans gêne ou presque pour vos rétines gourmandes. Avertissement : je ne cherche ni à faire pitié, ni à me faire dire « ben non, t’es pas autiste, parce que [insérer argument quelconque]».
En attente de l’attente
Je suis en attente d’être ajoutée à une liste d’attente pour évaluation psychologique : les listes d’attentes sont pleines, au Québec, et impossible de me squeezer entre deux rendez-vous pour accélérer le processus. Les psychiatres sont débordé·es, le système de santé refoule, et le gouvernement, depuis des décennies de négligence, ne sait plus par où commencer pour patcher les trous et s’est probablement dit fuck off avant de flipper son bureau.
Dans le passé, j’ai tour à tour été diagnostiquée avec un TAG (trouble anxieux généralisé) et un TB (trouble bi-polaire) : j’ai essayé une trâlée de médicaments sans jamais ressentir les résultats escomptés. Comme plusieurs, c’est en errant sur internet que j’ai commencé à me poser des questions sur ces diagnostics hyper-hâtifs donnés en dix minutes avec prescription à la clé écrite sur le coin d’une table.
Ma mère m’avait déjà dit avoir pensé, dès ma plus tendre enfance, que j’étais sur le spectre de l’autisme. Mais au début des années 90, on entendait seulement parler des cas lourds, et souvent, les recherches étaient basées sur des cas masculins. C’est que, voyez-vous, les femmes sont parfois autistes de manière différente aux hommes : nous sommes d’excellentes caméléones (voir ce texte si pertinent paru dans la Presse la semaine dernière) alors la majorité des gens N’Y VOIENT QUE DU FEU. Nous apprenons si tôt dans notre vie comment plaire, comment rentrer dans les rangs, que nous imitons les comportements des autres afin de fitter dans notre environnement. Personne le sait que je compte dans ma tête quand je regarde les gens dans les yeux, pour obtenir le bon ratio de contact visuel sans que ça soit creepy. 1-2-3, regarde ailleurs, 1-2-3, okay regarde-le·a, 1-2-3, regarde ailleurs, etc.
Mais y’a eu des signes pré-curseurs, et, disons que ma mère en avait repéré une coup’ pendant mon enfance : je me bouchais les oreilles en faisant une crise quand un camion arrivait, même si celui-ci était encore TRÈS LOIN et que ma mère ne l’entendait pas encore, je faisais des crises au centre d’achat (probablement par surstimulation), quand j’étais tannée de jouer avec mes ami·es, je les sacrais là pour aller jouer dans ma chambre toute seule ou même pour dormir, sans me soucier de ce qu’il advenait d’elleux par la suite (ma mère les entertainait). Dans les partys de famille (et ceux de mon adolescence par la suite), je finissais souvent cachée dans un espace clôt (un garde-robe, par exemple) avec mes écouteurs sur les oreilles. Bref, je pourrais continuer comme ça un bout de temps.
Là, même après un test suggéré par ma psychologue au résultat assez évident, je voudrais avoir un diagnostic formel et développer des outils. Je veux préciser qu’il n’y a rien de mal à s’auto-diagnostiquer : après tout, on se connaît mieux que quiconque. Depuis que je suis des comptes de personnes sur le spectre sur Instagram, j’en apprends tellement sur mes propres habitudes bizarres… et je me trouve moins weird parce que je me sens moins seule. J’apprends des trucs pour mieux gérer mon énergie, afin d’éviter le burn-out autistique. Ça m’aide déjà beaucoup de m’être auto-avouée : «okay, ouain, je ne suis pas une alien, je suis sûrement juste autiste.»
Ceci étant dit, disons que les derniers jours ont été plutôt mitigés pour moi : je suis en représentation au Salon International du Livre de Québec pour mon travail. À première vue, c’est le RÊVE ! Être PAYÉE pour être au Salon du livre, dans le Vieux Québec (ville que j’adore), croiser des ami·es et connaissances, parler de culture avec des gens. Et pour vrai, c’est l’fun ! MAIS.
Les grosses lumières fortes du Centre des Congrès, les décibels dans l’tapis des groupes scolaires, les coutures de mes nouveaux pantalons qui me donnent envie d’arracher mon linge, la surstimulation qui fait que je me retiens parfois à deux mains pour ne pas me cacher sous la table de vente un moment, essayer de camoufler mon tic qui consiste en ouvrir et refermer mes mains rapidement en serrant fort quand je suis stressée, trouver ma façon de dire «bonjour» de moins en moins naturelle et de plus en plus crispée et overthinker ça jusqu’à en figer, devoir vivre sans routine, dans une chambre d’hôtel inconnue, souffrir d’insomnie, runner mes journées avec quelques heures de sommeil de piètre qualité dans le corps, être de plus en plus fatiguée mais devoir garder le même niveau d’énergie… et tout ça sans que RIEN NE PARAISSE ou presque.
Disons que rendue à la dernière journée du Salon du livre, je me sens comme un Sims avec toutes ses barres dans le rouge. Sauf qu’au moins, j’ai réussi à dire « non » et à refuser des activités sociales parce que je savais que ce serait trop pour moi. À m’adapter en portant des bouchons pour les oreilles lorsque nécessaire. En allant m’étendre à l’hôtel des fois au lieu de faire du tourisme, même s’il fait beau.
Pis pour ça, je me trouve bonne.
Lu et ADORÉ cette semaine
Big Swiss, de Jen Beagin (2023, Éditions Simon & Schuster)
Ayoye ! Quel trip que ce roman ! Quelle ambiance unique et étrange ! Quels personnages bien développés, à la fois attachants et repoussants ! Et que dire de la faune fictive qui peuple Hudson dans ce livre ?
Comment ne pas tomber follement amoureux•ses de 'Big Swiss' nous aussi ?
Comme vous vous en doutez grâce à mon abus de ponctuation expressive, j'ai trippé sur ce roman singulier, où Greta, qui transcrit des séance de sexologie, tombe amoureuse d'une des patientes anonymes dont elle transcrit les séances. Lorsqu'elle reconnaît la voix de celle qu'elle a surnommée 'Big Swiss' au parc à chiens et que celle-ci lui parle et démontre de l'intérêt envers elle, c'est le début d'une histoire ... particulière ?
La psychologie des différents personnages est tellement développée que lorsque l'on referme le livre, on a l'impression de les connaître, de vouloir garder contact avec eux et prendre de leurs nouvelles.
" Yes. People age horribly. They suffer strokes. Their bodies and brains fall apart. But the male ego? Firmly intact until the bitter end. "
Allô, très interpellant ton texte et beaucoup de points de similitudes en ce qui me concerne. Ma psy m’a récemment laissé entendre que je serais sur le proverbial spectre et je pense que cela a du sens. J’aimerais bien faire le test que la tienne t’a suggéré… Sais-tu où je pourrais le trouver?