Est-ce qu'être spirituel·les nous empêche d'être intellectuel·les ?
Ou est-ce que la spiritualité peut nourrir la révolution ?
L’an dernier, j’avais lu l’essai de Véronique Chagnon intitulé « Au revers du monde » et sous-titré « À propos du potentiel révolutionnaire de la spiritualité ». Malheureusement, j’avais été déçue par le contenu de ce livre faisant partie de la série Documents d’Atelier 10, car ni les titres, ni la quatrième de couverture n’étaient représentatifs de son contenu. Ça ne faisait pas de cet essai un mauvais essai, mais le travail éditorial laissait peut-être un peu à désirer, car je m’attendais à lire beaucoup plus d’arguments sur l’importance de développer notre côté spirituel dans une société capitaliste et un monde au bord de la catastrophe écologique (ce que le résumé laissait présager).
Je me suis plutôt heurtée aux propos de l’autrice qui faisait le tour du monde pour assister à différentes retraites spirituelles et qui écrivait son ressenti face à chacune d’elles. Bien sûr, le livre ne se résumait pas qu’à ça, mais il était constitué en majorité de ces genres de critiques de voyage, avec une pincée d’autoflagellation de type « oh non, mon empreinte de carbone / l’appropriation culturelle, c’est terrible » pour la forme…
Je décide donc aujourd’hui, de manière sûrement un peu narcissique, d’écrire (en version très condensée) le texte que j’aurais voulu lire alors.
Comment la spiritualité peut apaiser notre système nerveux… et nous permettre de mieux lutter
Nous le savons, nous vivons dans des temps particulièrement anxiogènes : la troisième guerre mondiale semble vouloir se pointer le bout du nez, les catastrophes climatiques se succèdent, le climat social est miné, on parle d’une énième récession… bref, nous sommes stressé·es, et c’est bien normal. Mais on ne peut pas lutter pour les causes qui nous tiennent à coeur si notre « batterie » est complètement déchargée et que notre système nerveux fait des flammèches.
Oui; la rage et la colère peuvent être des moteurs de changement, mais à quel prix ?Combien de militant·es se sont retiré·es du milieu après avoir tout donné trop longtemps, pour finir éreinté·es et brisé·es ? Et si il y avait une solution au burn out militant ?
Il est important, voire primordial, de protéger notre énergie et de se recharger pour mieux combattre, et ça n’a rien d’égoïste de prendre du temps pour le faire. Que cela prenne la forme d’une pratique de yoga, de marches méditatives, de répétition de mantras, qu’importe, si ça ne fait de mal à personne et que ça nous fait du bien. Quelle est la citation, déjà ? On ne peut remplir un verre à partir d’un contenant vide. (Je paraphrase, mais on comprend.) Si nous sommes toujours coincé·es en mode « fuir ou se battre », une boule d’angoisse serrée dans la poitrine et le cerveau englué de pensées circulaires, il n’y a plus de place pour la réflexion… et pour l’organisation de la lutte.
Nul besoin de retraites à 4000$ pour être spirituel·le
Je peux comprendre l’attrait de tout plaquer là pour une semaine ou deux et partir en retraite de yoga/ de féminin sacré/ de cérémonie du cacao ou de l’ayahuasca/ etc, dans le décor paradisiaque d’un pays exotique… mais, selon mon humble avis, cela équivaut à passer à côté des fondements même d’une certaine spiritualité.
D’abord, ce faisant, on heurte l’environnement (allô les émissions de carbone) et son prochain (on va s’le dire, rares sont les sites d’hôtellerie avec des conditions décentes pour leurs employé·es, souvent les seul·es à vraiment venir dudit pays où se tient la retraite). On aura beau se mettre des oeillères tant que l’on veut, c’est souvent dans une position colonialiste que l’on organise ces retraites : en terre non-cédée, avec des enseignant·es blanc·hes ayant appris d’autres enseignant·es blanc·hes des apprentissages millénaires, alors que sur place, plusieurs auraient probablement été (sur)qualifié·es pour transmettre les enseignements de leurs ancêtres.
Et ces sites d’apparence paradisiaque, construits au détriment de la nature environnante, font que les habitants des villages du coin n’ont plus accès, bien souvent, aux différents points d’eau de leur propre pays… à moins de travailler à rabais pour ces mêmes établissements d’hôtellerie.
Le but d’une pratique spirituelle n’est-elle pas d’être bien avec soi, ici et maintenant ? Alors pourquoi chercher à (se) fuir en couraillant aux quatre coins de la planète en quête d’éveil ? Les philosophies hindouistes, chamaniques et bouddhistes dont s’inspirent ces enseignements n’ont-elles pas toutes, dans leurs enseignements, quelque chose qui encourage les pratiquant·es à ne jamais heurter autrui ? Alors pourquoi fermer les yeux sur les conditions de vie des peuples ayant inspiré ces leçons de vie ?
Ce travail sur soi, si on ne veut pas qu’il devienne effectivement égocentré et narcissique, doit se pratiquer au quotidien, dans les conditions « ordinaires » de notre vie « normale ». C’est à ce moment que ça devient bénéfique pour nous comme pour celleux autour de nous. Car de toutes façons, il est certain qu’il est plus facile d’appliquer les doctrines spirituelles dans un environnement paradisiaque où notre charge mentale est atténuée du fait que d’autres comblent nos besoins de base pour nous… mais qu’en est-il une fois revenu·e à la maison ?
Notre spiritualité n’a pas besoin d’être exhibée
Il n’y a rien de mal à parler de notre spiritualité, quelle qu’elle soit, mais n’y voyez pas là une obligation. À l’ère de la surcommunication et de l’exhibition, il est précieux de garder des détails privés pour soi. Cet espace sacré que vous avez construit lentement, doucement, grâce à une pratique qui VOUS fait du bien, nous n’avez pas besoin de la montrer, et donc d’ainsi ouvrir la valve des possibles critiques, des commentaires condescendants, etc. Mais si vous avez l’énergie mentale d’instruire autrui sur le fait qu’une pratique spirituelle n’est pas gage de stupidité (bien au contraire), soit !
Je pense que cette séparation entre le spirituel et l’intellectuel en Occident vient de l’émancipation de la religion chrétienne catholique. On confond souvent spiritualité et religion, et nous commettons souvent l’erreur de penser qu’une personne qui parle de chakras, de symbolisme, d’astres ou d’asanas et certainement moins éduquée ou moins aux faits de l’actualité. Je pense qu’il est temps de briser ce préjugé, mais que nous n’y arriverons pas si nous continuons à fermer les yeux sur la manière dont notre pratique peut potentiellement heurter autrui. C’est inconfortable, comme remise en question, mais essentiel.
Et je crois humblement que quand nous aurons rééquilibré ce profond déséquilibre, et que nous focaliserons nos énergies à aller mieux et à aider les autres à aller mieux, nous aurons en mains les armes pacifiques nécessaires pour faire la révolution.